LE BILLET DE LA LIBELLULE – Episode 9

Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain.

Voilà comment Montaigne s’adresse à son lecteur en 1580… Dans cet énoncé paradoxal, le célèbre écrivain, qui n’a cessé de se peindre lui-même dans ses Essais, prend une distance amusée vis-à-vis de son œuvre. Est-ce qu’écrire sur soi peut être un sujet sérieux ? ? Et si on va plus loin : est-ce que s’inspirer de sa vie pour écrire va intéresser nos lecteurs ? Si oui, à quelles conditions ?

Autant le dire tout de suite : Écrire sur soi semble souvent le plus facile, et autant l’avouer, ça nous fait plaisir ! Alors, comme de nombreux écrivains, j’introduis beaucoup de moi dans mes écrits. Mes interrogations, mes problématiques personnelles, mes joies et mes peines se retrouvent dans les histoires que je raconte. Souvent en effet, nous pouvons tirer profit de nos traumatismes personnels, qui, passés ou présents, peuvent nourrir nos histoires.

On se retrouve après devant des choix d’écriture : raconter un pan de sa vie, faire un témoignage sur un évènement marquant est une démarche sur laquelle nous reviendrons. Il s’agit alors d’abord de se réparer tout en prenant de la distance vis-à-vis de sa vie. Or l’écriture a une dimension cathartique et permet cette distance. Ce sera l’objet d’un autre article.

On peut décider aussi d’introduire des parts de nous dans la fiction. C’est personnellement ce que je fais. J’y vois plusieurs avantages. Dans une nouvelle ou un roman, nous pouvons transcrire nos blessures à nos personnages différemment que ce que nous les avons vécues. Par exemple, en poussant nos réactions jusqu’à leur paroxysme. Une grosse colère que nous avons pu éprouver peut par exemple donner lieu à un crime sanglant. Dans mon recueil de nouvelles Leur vie s’éparpilla, deux personnages féminins sont poussés au meurtre, une troisième fait à son amant une scène d’une violence inouïe. Déjà, la nouvelle avec laquelle j’ai gagné le Prix à Aubagne, d’encre et de sang, commençait par un acte sanglant. Dois-je l’avouer, dans mes écrits, tuer me fait beaucoup de bien ! Dans tous les cas, je me suis inspirée soit d’évènements qui me sont réellement arrivés, soit dont j’ai été témoin ou qu’on m’a racontés. Car tirer parti d’une scène dont nous avons été l’observateur est aussi une grande source d’inspiration. Mais soulignons que, racontés, les évènements n’ont plus grand-chose à voir avec la réalité. Souvent, j’ai exacerbé les réactions émotionnelles de mes héros. Ils choisissent une solution qui leur paraît la bonne parce qu’ils sont le jouet d’émotions qu’ils ne maîtrisent pas ou de leur part d’ombre.

La part d’ombre est très intéressante. Si vous écrivez de la fiction ou si vous vous apprêtez à en écrire, vous allez vite vous en apercevoir. Et pas simplement dans le genre traditionnel du roman policier ! Jalousie, frustration, rage impuissante… il est intéressant d’aller les regarder puis de braquer un projecteur sur tout ce qui, dans la vraie vie, est contrebalancé par des aspects plus neutres ou même plus positifs de notre personnalité ou celle des membres de notre entourage.
Essayez ! Vous pourrez ainsi apprécier la dimension cathartique de l’écriture. Après tout, pourquoi s’en priver ? c’est juste de la fiction !

Je vous propose aujourd’hui de vous remémorer un épisode marquant de votre vie. Racontez-le, tout d’abord tel qu’il est resté dans votre souvenir.
Puis, imaginez qu’il est arrivé à l’un de vos personnages. Exagérez ses réactions, ses ressentis et ses actes.

Quant à moi, je vous dis à très bientôt pour un nouveau billet de la libellule,

À vos stylos ! 
Dominique

NB : Au fait, je sais bien que les Essais ne sont pas de la fiction !
Vous rencontrerez des personnages extrêmes dans mon recueil de nouvelles Leur vie s’éparpilla.
À découvrir chez votre libraire favori ou, à défaut, chez Cultura ou Amazon.